Passer au contenu principal

Suivez-moi

Alors, si tu veux supporter cette maudite bonne idée et montrer que t'as du goût (et un peu trop d'argent qui traîne), abonne-toi à Qlub+.

Pourquoi j'ai pas ma montre : L'éloge de la lenteur dans un monde pressé.


J'ai brisé l'Pacte. Pas avec le Diable, même si ma voisine, la vieille madame Alexander, qui sent la cigarette pis le regret, dirait que c'est la même maudite affaire. Le pacte, c'était avec l'esti de gadget de ma vie, cette maudite montre intelligente qui prétendait mesurer la seule chose qui vaille : le Temps... pis mon rythme cardiaque, mon sommeil, mes pas, mes calories brûlées, la phase lunaire, l'indice UV... T'sé, toutte. L'objet du crime dort dans l’tiroir de ma commode, à côté d'une pile de bas orphelins pis d'un couteau suisse dont l'utilité s'est éteinte avec l'aventure. Pantoute que j’en ai de besoin!


C'était une Smartwatch dernier cri. Une foutue bibitte en plastique pis en verre, légère, étanche, ridicule d'efficacité. Elle avait coûté le prix de ma dignité pis elle me rappelait, à chaque vizz-vizz discret, que j'étais en train de perdre une course que j'avais jamais voulu courir. Ayoye.


La montre intelligente, c'est l'une des inventions les plus écœurantes de l'homme. Non pas la vieille pendule du salon, cette grand-mère bienveillante qui sonne l'heure du gruau pis des visites, mais le bracelet-mouchard, ce minuscule bourreau attaché au poignet. C'est une cenne noire qui s'est prise pour l'âme, un rappel constant de notre insuffisance organique, désormais quantifiable. L'organisme, voyez-vous, il s'en câlice des zones de fréquence cardiaque. Il a faim. Il a sommeil. Il désire. Ce sont là les seuls impératifs biologiques valables. Le score de récupération ? Une niaiserie de programmeur.


J'ai découvert la futilité du chiffre parfait lors d'une réunion matinale. Une réunion dont l'objet, je m'en souviens avec une clarté vomitive, était "l'optimisation du temps d'attente du café". Osti, j'ai regardé mon poignet, le plastique froid contre ma peau. Le cadran affichait 8h03 ET: «Debout trop tard, score de sommeil: 67%. Veuillez prendre votre pilule de Vitamine B12.» Un collègue expliquait, la bave aux lèvres, comment gagner douze secondes en utilisant une machine à dosettes plutôt qu'une cafetière à filtre. Douze secondes. Pour quoi faire, bon sang? Pour arriver plus vite à la réunion suivante pis entendre ma montre me dire : «Alerte sédentarité : Levez-vous et marchez !» 


Sérieux?

Cette obsession pour la micro-économie corporelle, ça m'est apparu comme la plus exquise forme de néant. C'est le vide déguisé en efficacité. Si la vie est une tarte, on passe notre temps à mesurer le diamètre de l'assiette sans jamais goûter à la garniture. La montre, dès lors, n'est pas un outil ; c'est un miroir qui nous renvoie l'image d'une créature full paniquée, courant après sa propre performance.

Avant, ma montre calculait mes calories. Je mangeais mes croûtes d'avoine sans gluten sans conviction, un carburant. Maintenant, je mâche. Lentement. J'ai découvert que le bacon de dinde, quand on lui donne l'attention qu'il mérite, révèle une complexité de gras et de sel presque spirituelle. Les œufs brouillés, en ne les pressant pas, vous racontent des histoires. Je n'étais plus en déficit calorique, j'étais juste en train de me sucrer le bec à ma façon.


Ce jour-là, j'ai réalisé que ce maudit gadget était le seul démon auquel j'avais offert un siège au premier rang de ma vie. Elle se moquait de ma faim (à 12h00, pas à 11h53) pis de ma fatigue (à 22h00, même si le soleil brassait encore). Fallait l'éteindre. Et qu'elle aille se faire brasser le canayen!


Le silence du poignet. Ce fut la première chose. Un silence lourd, comme celui qui tombe dans la maison juste après qu'un objet lourd est tombé pis que vous attendez, le souffle coupé, de voir c'qui est brisé.


Quand j'ai barré cette patente-là, j'ai commencé par croire que l'horreur allait surgir. C'est toujours ça qui se passe quand vous désobéissez aux lois non écrites de Havenwood, Maine (trop lu de Stephen King). Le signal devait cesser. Pantoute!


Au début, ça démangeait. J'avais des spasmes fantômes au poignet, comme un amputé se souvenant de sa main perdue. Je levais le bras, cent fois par jour, pour vérifier ce que je savais : le néant numérique. Juste ma peau, pâle, pis l'empreinte circulaire laissée par le boîtier, comme une maudite morsure.


Le premier changement fut ma relation avec l'assiette. Le plus étrange, ce fut au bureau. Le temple de l'exactitude. J'ai cessé de regarder l'horloge murale. Au lieu de ça, je me suis concentrée sur la tâche elle-même. Et c'est là que l'horreur, la vraie horreur, a surgi: Je suis devenue efficace. Sans la pression du temps — sans cette patente-là qui vibrait « Il vous reste 15 minutes avant le déjeuner » — chaque feuille de calcul est devenue une énigme. J'ai vu des erreurs que j'aurais manquées en mode panique. J'ai cessé d'être une pousseuse de crayon pour devenir une architecte des fonds. La lenteur est une forme de concentration totale qui rend la vitesse obsolète.


Mes collègues, le front perlé de sueur, me demandaient l'heure. 

«Quelle heure est-il, Marie?»

Je souriais. « Tu ne veux pas savoir l'heure, tu veux savoir combien de temps il te reste.»

Je répondais invariablement: «Il est l'heure de ce qui se passe maintenant. Il est l'heure de ventiler l'bonheur. À la r'voyure!»


Le chef m'a convoquée. Il a brandi sa propre smartwatch et m'a rappelé que le temps est argent. Un cliché qui sentait le renfermé.

« L'argent n'est qu'une métaphore du temps des autres, » ai-je dit, sans même y réfléchir. « Mon temps est à moi. Je suis pas mal libre. Mon bilan personnel n'est pas publié à la Bourse, Monsieur. Il est écrit dans l'épaisseur de l'instant. »

Il n'a pas compris. Pour lui, l'éloge de la lenteur, c'est se retrouver dans les patates.


Mais il s'est trompé.

Je ne suis plus en déficit. Je suis en surplus d'existence. J'ai arrêté ma montre pour que ma vie ne soit plus une reddition de comptes, mais un poème – long, détaillé, parfois terrifiant, mais écrit avec l'encre du présent. Je suis la comptable qui a finalement décaissé son propre temps.


Et dans l'obscurité de ma chambre, je sais que la vieille madame Alexander, là-bas, sentant le cendrier, regarde son cadran lumineux et se demande où sont passées toutes ces foutues minutes. Moi, je sais où elles sont.

Elles sont dans l'instant, mon seul Actif non courant. Crisse, que c'est l'fun!



Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

L'Alcoolisme du Croustillant : Pourquoi les Chips sont le Crack Légal de Notre Société

  Les chips: Une maudite drogue? Ben oui. Ce week-end, une question existentielle, fondamentale, presque philosophique, a déchiré le voile de ma conscience engourdie par les saveurs artificielles: les chips, c'est-tu une drogue, ça? Maudit que oui, c'est une drogue! Pis je pèse mes mots – avec une petite balance de cuisine, juste pour être certaine de pas dépasser la «portion recommandée» qui tient sur une cuillère à thé. Niaise-moi pas avec ça! Regardez les preuves, là: Le Slogan R'bordant Pensez au célèbre adage : «Tu ne peux pas t'arrêter à une seule.» Avouez donc que ça sonne moins comme une promesse gastronomique que comme un avertissement d'un centre de désintox. Imaginez un agriculteur de carottes qui crie: «Bet you can't just eat one carotte!» Personne le croirait. Pantoute! Le Sevrage Subtil Je vous mets au défi de ne pas en manger pendant 48 heures. Dès la 25e heure, une sueur froide vous parcourt l'échine. Vous confondez le bruit de votre ventila...

Attention ! Mise à jour du «Complot du Silence» (et appel à l’aide du futur)

Avis aux Conspirateurs, Historiens du Dimanche... et Collaborateurs Secrets ! Vous avez goûté au prologue et peut-être au début du chapitre 1. Vous avez frémi devant la dédicace. Vous avez cherché sur Wikipédia qui est cette fameuse "Marie-Anne"?!! Vous vous demandez : quand la suite ? Quand cette dame au pyjama rose (oui, même les voyageuses du temps ont besoin de confort moderne) va-t-elle enfin dévoiler son plan fou pour sauver la Nouvelle-France de l'oubli ? Réponse : À peu près une fois par semaine. Oui, oui, vous avez bien lu. L’histoire, mes amis, est une bête vivante, mais l’autrice, elle, a un emploi du clavier mortel (et des lessives). Je m'engage donc solennellement, devant la mémoire de Montcalm et le fantôme de Wolfe, à vous fournir chaque semaine, ou environ, une nouvelle salve de lignes. Que ce soit un chapitre complet ou juste deux paragraphes cruciaux décrivant le complot pour cacher le sel, l'histoire avancera. Pourquoi « à peu près » ? Parce ...