Un fantasme anachronique
Chapitre 1
[Le départ]
Dans la petite maison de Marguerite, pendant que le foyer crépitait et que Louis était parti dans la forêt, Marie-Anne a eu un moment pour elle-même. Elle était assise sur une chaise, les mains sur les genoux, et son esprit s'est mis à vagabonder, comme il le faisait toujours quand il n'était pas occupé à moudre le grain ou à coudre des vêtements.
Elle a repensé à l'homme qu'elle avait croisé à l'entrée du magasin général le premier jour qu’elle était venue s’installer chez Marguerite, cet homme avec des yeux d'un bleu d'acier et une aura de pouvoir. Elle a su à travers les branches que c’était Antoine-Pierre de Rouville. Elle a fantasmé sur lui, sur sa beauté, sur sa force, sur son élégance. Elle a imaginé sa peau, son corps, ses lèvres. Elle a imaginé quelques fois comment il serait au lit.
Et c’est à ce moment-là que ses pensées ont pris un tournant bien particulier. Elle a pensé à ce qu’elle avait appris de Marguerite, à ses leçons sur les devoirs d’une femme mariée. Elle a aussi pensé à ce qu’elle avait lu dans ses livres d’histoire. La nudité totale, même entre époux, n'était pas un concept courant et était souvent associée au péché ou au libertinage. La plupart des sources indiquaient que les gens de l'époque, par pudeur, préféraient garder au moins une partie de leurs vêtements ou utilisaient des chemises de nuit.
Marie-Anne a ri doucement, une risée un peu folle. Elle s'est imaginée en train de déshabiller Antoine-Pierre, de lui retirer son uniforme, son pantalon de velours, et de le laisser nu, de l’embrasser avec passion, de lui montrer ce que son corps pouvait faire. Elle a imaginé sa surprise, son choc, sa confusion. Il n'aurait probablement jamais vécu ça. Sauf avec des filles de joie!
Une chance de changer le destin
C'était un bel après-midi d'automne. Le soleil, doux et chaud, filtrait par la petite fenêtre de la maison de Marguerite. À l'intérieur, le foyer crépitait, et l'odeur du pain frais flottait dans l'air. Marie-Anne, assise à la table, était concentrée sur son travail. Elle apprenait à coudre des uniformes, de grosses tuniques en laine que les hommes de la milice porteraient pendant l'hiver.
— Fais attention à ne pas te piquer, a dit Marguerite, qui était assise en face d'elle, ses mains agiles passant l'aiguille dans le tissu avec une rapidité déconcertante. Les hommes ont besoin de tenues solides, ils vont devoir affronter le froid.
Marie-Anne, qui était habituée à des vêtements modernes et légers, a soupiré. Elle pensait à tous ces hommes qui allaient porter ces vêtements. Des hommes qui, comme Louis, allaient se battre pour un pays qui n'allait plus exister dans moins d'un an. Le savoir qu'elle avait était un fardeau.
C'est à ce moment-là que la porte s'est ouverte. Louis est entré, un air grave sur le visage. Il avait l'air épuisé, et ses mains étaient pleines de boue et de suie.
—T'es en vie! a dit Marguerite, un sourire de soulagement sur le visage.
Louis s'est assis sur une chaise, a posé son fusil contre le mur et a posé ses mains sur la table, l'air de rien. Le silence était lourd.
Louis a posé ses mains sur la table, l'air grave.
— On a perdu Louisbourg et Fort Frontenac. Les Anglais vont venir ici. On va les attendre sur nos terres.
Marie-Anne a regardé ses mains qui cousaient l'uniforme, une boule de frustration au fond de la gorge. Le savoir qu'elle avait n'était pas un simple fait historique, c'était une réalité vécue par les hommes et les femmes de cette époque. Elle ne pouvait plus se taire.
— Non! a-t-elle crié, se levant brusquement, faisant tomber l'aiguille de ses mains. Il n'y a pas que ça à faire. On peut encore se battre, mais pas comme vous croyez.
Louis l'a regardée, l'air surpris.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— J'ai étudié ça toute ma vie, a-t-elle dit, sa voix remplie d'assurance. Les plans de Montcalm, ils ne fonctionneront pas. Il veut une guerre à l'européenne, une bataille rangée sur les plaines. C'est ça qui va nous faire perdre.
Marguerite a levé un sourcil, le regard perçant.
— Une femme comme toi qui a le cœur à la guerre ?
— Non, a dit Marie-Anne, une femme qui a le cœur à l'histoire. Pour que cette bataille ait une chance, il ne faut pas la livrer de front. Il faut les harceler, les épuiser. Utiliser le terrain à notre avantage.
Elle a fait une pause, puis elle a continué.
— Vous avez des alliés ! Les Hurons, les Abénakis, ils sont les rois de la guérilla. Plutôt que de vous battre comme des soldats européens, vous devez vous battre comme des coureurs des bois!
Louis l'a écoutée, son visage rempli de confusion.
— Mais... ils ont des canons, des bateaux. On est à un contre dix.
— Pas si on est plus malins. On peut bloquer le fleuve Saint-Laurent avec des canons et des bateaux. On peut les harceler. On peut faire des embuscades dans les forêts. On peut les faire mourir de faim. On peut les faire battre en retraite, avant même que la bataille commence.
Louis l'a regardée, ses yeux d'acier pleins d'admiration. Il a compris. Il ne comprenait pas comment elle savait ça, mais le plan était logique, parfait. Il y a toujours une chance pour ceux qui ne perdent pas espoir.
Marguerite, elle, a souri. Elle a regardé Marie-Anne, puis elle a regardé Louis. Leurs yeux étaient remplis d'une détermination que rien ne pourrait arrêter. L'une avait la connaissance, l'autre avait la force. Ensemble, ils avaient une chance de réécrire l'histoire.



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