L'Instant Pot ou le triomphe de la simplicité contrainte

 Dédié à ma cousine Sylvie

Il existe, au milieu de l'hystérie mécanique de notre époque, un objet de culte d'une laideur fonctionnelle et d'une prétention culinaire sidérante: l'Instant Pot. Toute une patente, ce n’est pas un ustensile de cuisine, c'est une idéologie en acier brossé. Un monolithe numérique sur votre comptoir qui vous fixe avec la bienveillance menaçante d'un gourou promettant l'illumination par la cuisson sous pression.
On nous serine, de la tribune du blog de cuisine à la grand-messe télévisuelle, que l'Instant Pot est la réponse à la maladie moderne, le temps. Ah, le Temps! Cet osti d'enjeu qui nous dévore, nous empêchant d'offrir à notre progéniture, affamée et impatiente, un plat mijoté comme chez grand-mère.

Mais surtout, il est, pour les mesdames et messieurs ben occupés, cette caste supérieure qui est constamment sur le party de l'efficacité, qui semble avoir breveté la notion de rush, une véritable merveille.

Car enfin, comment ces âmes d'élite, dont l'agenda est une partition de Bach jouée au triple tempo, pourraient-elles se commettre à la vulgarité d'une cuisson prolongée? Leur existence, noblement vouée au rendement et au courriel, ne peut être niaiseuse à attendre. L'Instant Pot, dès lors, n'est plus un simple appareil: c'est un certificat de statut social. Il prouve que l'on est trop important pour faire la popote avec ses deux mains.

Et c'est là qu'il excelle: il sublime les soupers de tous les jours de semaine. Il prend la tragédie du mardi soir faite de lentilles déshydratées ou de poulet fade en maudit, et la transforme en une victoire rapide. En vingt minutes, il vous sert une parodie de raffinement. L'illusion d'un repas maison sans l'effort de la maison. C'est l'alchimie moderne: la transformation de la médiocrité en efficacité.
Mais soyons sérieux un instant, si la chose est permise. Qu'est-ce que l'Instant Pot, sinon la négation de l'acte de cuisiner? La cuisine, la véritable, est une affaire de patience, de dégustation des odeurs, de la lente transmutation des ingrédients sous l'œil vigilant. Elle est un dialogue, parfois houleux, entre l'humain et le feu.
L'Instant Pot, lui, nous propose le mutisme. On y jette les ingrédients pêle-mêle, comme on jetterait ses péchés dans un confessionnal électrique, on appuie sur le bouton "Poulet/Viande" (quelle classification sommaire de l'existence animale! Ça a pas d'allure!) et l'on s'en va, soulagé d'avoir délégué l'âme de son repas à un circuit imprimé.
Il ne nous donne pas du temps; il nous donne de l'ennui. L'ennui de la certitude. Fini le suspense de la réduction de la sauce, terminée la noble angoisse du riz trop cuit. L'Instant Pot produit l'efficacité, cette vertu bourgeoise par excellence, à une vitesse indécente. Il crache un repas techniquement mangeable, plate en maudit, sans histoire ni aspérité, dans un temps record. Un repas qui n'est jamais, pantoute, tout à fait votre repas.
Et l'orgasme final, cette dégazification bruyante qui annonce la fin du processus! Un sifflement strident et vaporeux, comme le soupir de dédain de l'objet qui semble dire: «Voilà. Vous êtes servis. Et maintenant, retournez à vos misérables existences, j'ai pas le temps de niaiser avec vos émotions gustatives.»

Faque il est clair que l'Instant Pot n'est pas un cuisinier. C'est un tyran bienveillant, un maître-chanteur de la commodité. Et nous, esclaves consentants de la modernité, on applaudit à notre propre déchéance culinaire. On chiale plus, on programme. Nous sommes les Nouveaux Mangeurs, ceux qui préfèrent la certitude rapide du bouton "Haricots" à la lente et dangereuse incertitude du faire.

Mais moi, je le sais. Au fond de cette cuve étincelante et stérile, ne mijote rien de moins que l'apathie de l'âme.

Mais cela goûte te quelque chose! (Le regret de l'intellectuel.le)


Et puis, vous avez beau jeu de faire les fines bouches, d'invoquer la lenteur sacrée des traditions culinaires, le drame se produit: on y goûte. Et, tabarnouche, c'est bon.

On s'attendait à la gomme, au fade, à la punition du repas expédié. Mais l'Instant Pot, ce petit bum de la cuisine, utilise la pression et la vapeur comme un prestidigitateur. Les saveurs, au lieu de s'évaporer noblement dans l'air, sont forcées à rester, à s'intensifier, à se marier dans un huit-clos mécanique. Le poulet est moelleux en maudit. La sauce est réduite, concentrée, presque capotante.
C'est là le piège et le triomphe.

Cet outil, pensé pour ceux qui n'ont pas le temps de se casser la tête, qui vivent sur le pilote automatique, réussit l'exploit de produire des saveurs profondes, complexes, qui démentent leur origine instantanée. C'est surprenant les saveurs qui en sortent. On se sent presque floué par sa propre supériorité intellectuelle. Comment cette simplicité peut-elle engendrer une telle complexité gustative?

Faque l'Instant Pot n'est plus seulement un symbole de notre rush capitaliste. Il est, finalement, un outil merveilleux. Un outil qui permet à la madame et au monsieur ben occupés de se régaler sans culpabilité, de sacrifier l'effort sans sacrifier le goût. Un objet qui, contre toute attente, donne un peu de jouissance rapide à nos vies réglées au quart de tour.
Il ne s'agit plus de cuisiner, mais de gagner du temps sans perdre de saveur. Et pour ça, on va se le dire, l'Instant Pot est tout simplement le meilleur au monde.


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