L'hiver d'antan: Le jugement de la Mitaine

 

Ah, c’est le potin qui court sur la galerie, le murmure qui fait geler l’eau dans les bottes: «L’hiver d’antan s’en vient!» Faut-il donc se réjouir ou bien sacrer en se pinçant l’orteil?

Chez nous, au Québec, l’hiver, c’est pas une saison, c’est un jugement. Un temps où le pays se ramasse sur lui-même, où on voit si le manteau est assez épais et si la corde de bois est bien empilée (chauffez donc à l’électricité, c’est moins dur pour mon asthme!).

Le temps béni du Blanc

Quand on parle d'«antan», on parle d’une fierté simple, celle de l’enfance où la poudrerie était notre cinéma et la butte, notre Mont-Tremblant. C’est le temps des vraies neiges, des bordées qui montent jusqu’aux fenêtres, pas juste de la slush grisâtre qui décourage le trottoir.

Un hiver d’antan, c’est le retour du vrai froid, celui qui pique le nez et qui fait craquer la neige sous les pieds comme du sucre. C’est la garantie d’un Noël blanc, où le Père Noël n’a pas besoin de rames pour se rendre. C’est le temps où le patin glisse sans peur du verglas traître, où la motoneige file sur les lacs gelés comme des miroirs et où le ski-doo vrombit joyeusement.

C’est le Québec de Félix Leclerc (ma prof, Sœur Rita Pelletier en 6e année, trippait solide sur lui), celui où le poêle est le cœur du foyer, où l’on fait sécher les mitaines mouillées au-dessus du radiateur, et où la chaleur de la cuisinière est la seule vraie réponse à la morgue du dehors.

«Un hiver qui se tient, c’est une affaire de dignité. On est fait de même, ou on ne l’est pas.»

La Misère Noire du Piteux

Mais, attention, la mémoire, c’est comme la sucre à la crème, ça oublie vite le coup de froid. L'hiver d'antan, c'est aussi la marmite qui bout de soucis.

C’est l’heure où le déneigement devient une corvée olympique. Deux pieds de neige sur le stationnement, et tu passes ta matinée à sacrer après la souffleuse qui a calé. C'est le mal de dos chronique du pelletage, la guerre des espaces de stationnement à coups de chaises de parterre, et les chemins barrés par les congères.

Et le froid! Un froid qui te rentre dans les mollets, qui te gèle les dégelis et qui fait coster la facture d’Hydro-Québec jusqu’au plafond. C’est le temps où tu te sens pogné dans ta talle d’auto, où la batterie te lâche sans prévenir, et où l’on doit s’habiller comme un bibendum pour aller faire le moindre commis!

Un hiver trop long, c’est aussi l’ennui qui nous tombe sur le coco, le temps où l’on est tanné de la noirceur précoce et où le printemps devient une obsession qui nous fait guetter le premier geais bleu comme un messager divin.

Le Verdict

Alors, veut-on vraiment cet hiver-là?
Si l’hiver d’antan nous offre la beauté crue, le silence ouaté et les vraies joies de la patinoire, on le prend. C’est le prix pour vivre dans un pays qui n’est pas platte, un pays qui demande qu’on se tienne debout.

Mais si c’est juste pour empiler la misère, le froid qui pogne aux os et la sloche de mars qui s'étire, on va peut-être se contenter d'un hiver mou et laisser l'antan au musée des nostalgies.

Au final, on va le prendre, cet hiver, comme il vient. On va capoter sur la première tempête, puis on va chialer jusqu’à la fonte des glaces. C'est ça, être Québécois. C’est aimer notre saison la plus cruelle en secret (je la hais), en se plaignant à voix haute. Et c’est bien correct de même.