L'Halloween sur l'Île Jésus : Le Vrai Visage des Monstres (Entre Deux Chantiers)

 


Sur l'Île Jésus, l'Halloween, c'est pas juste une fête. C'est une béance. Une fissure dans le béton frais des nouveaux développements, une brèche dans la routine des centres d'achats en expansion. C'est le soir où les masques tombent pour laisser apparaître... d'autres masques. Plus terrifiants, plus authentiques, peut-être. Nothomb dirait que c'est la seule nuit où la vérité se déguise en mensonge pour être enfin crédible. Stephen King, lui, sentirait l'odeur du sang sous les effluves de bonbons.

L'Île Jésus. Pas une ville sans âme, non. Plutôt une ville naissante, une âme qui s'étire, toujours en construction, éparpillée entre mille ronds-points qui changent de configuration chaque mois. Mais le 31 octobre, même l'Île Jésus se réveille. Les lumières blafardes des lampadaires, d'habitude si utilitaires, se teintent d'une lueur jaune et incertaine. Les arbres squelettiques des banlieues agitent leurs branches comme des bras décharnés, grattant les vitres des grosses baraques, grandes comme des châteaux de PVC.


Et puis, il y a les voisins de Vimont. Eux, ils sont l'apogée de l'horreur. Pas l'horreur du manque, mais celle de l'excès. Leur gazon, grand comme un terrain de golf, disparaît sous une armée de créatures gonflables. Des citrouilles de dix pieds, des fantômes géants, des dragons qui brassent de l'air avec un bruit de soufflerie qui sent la folie. Ces grosses baraques aux façades de pierre cheap et aux colonnes grecques sont le théâtre d’une générosité monstrueuse. Ils donnent aux enfants des poignées de bonbons, des pleines palettes de Kit Kat et de Smarties, et leurs décors sont si démesurés qu'ils font de l'ombre aux autres millionnaires du coin. C’est une forme de terreur économique, t'sé. Regardez ma maison, regardez ma richesse, regardez ma capacité à générer de l'émerveillement morbide. Le gonflable, c'est le symbole parfait : une forme gigantesque, vide à l'intérieur, qui ne tient debout que grâce à une pompe ininterrompue. C'est le miroir de notre âme de banlieusard.


Les enfants. Ah, les enfants. Ces petites créatures voraces, emballées dans des costumes de plastique bon marché, arpentent les rues comme une armée de sauterelles affamées. Ils ne sont pas mignons. Ils sont terrifiants. Leur cri de « Bonbons ou la vie ! » n'est pas une question, mais une exigence ancestrale. Le chantage, chez eux, est pur, limpide, dénué de toute morale. C'est un instinct primaire de collecte, une chasse aux trésors où la seule monnaie est le sucre, et la seule loi, l'abondance. J'ai déjà vu un petit chaperon rouge, le visage barbouillé de chocolat, jeter un regard de pur dédain sur un sac de bonbons mous. C'était la véritable horreur. L'horreur de la déception infantile, plus froide que n'importe quel clown de l'égout.

Les parents, eux. Les parents, c'est le chœur grec de cette tragédie annuelle. Déguisés en monstres de circonstance (une chemise tachée, un masque à deux dollars trouvé au Dollarama) ils traînent derrière leurs rejetons, les yeux injectés de fatigue. Ils ont le sourire crispé de ceux qui savent qu'ils sont complices d'un rite dont ils ne comprennent plus le sens. Ils observent leurs enfants, ces petits démons, avec une tendresse mêlée d'une terreur secrète. Car ils voient bien que sous le costume de Spiderman se cache un prédateur. Un petit sociopathe de six ans capable de terroriser un quartier entier pour une poignée de Reese's Peanut Butter Cups.


Mais le plus terrifiant sur l'Île Jésus, ce sont les maisons elles-mêmes. Les maisons décorées. Pas les décorations de bon goût, non. Celles qui crient. Celles qui débordent d'un besoin maladif d'exister. Des toiles d'araignées géantes qui s'étirent sur les façades, des squelettes articulés qui pendent des gouttières, des lumières stroboscopiques qui clignotent frénétiquement. C'est la folie douce de la banlieue qui s'exprime. Une tentative désespérée de crier: «Regardez-moi! J'existe!» dans l'uniformité des lotissements. On se demande si les propriétaires ne sont pas possédés, non pas par des esprits, mais par l'envie, la compétition. C'est une guerre des décors, un combat pour le plus grand cimetière en plastique.

Et les bonbons. Le kit kat, le smarties, le fudge maison douteux emballé dans du Saran Wrap. Chaque friandise est une petite promesse, ou une petite menace. On sait que le sac sera vidé avant minuit. Que le lendemain matin, il ne restera que les emballages froissés, témoignages silencieux d'une orgie sucrée. Le sucre, cette drogue légale et enfantine, qui mène à des pics d'hyperactivité dignes des pires crises de panique.


L'Halloween sur l'Île Jésus, c'est le jour où l'on comprend que les monstres ne se cachent pas dans les égouts ou sous les lits. Ils sont sur le perron, la main tendue pour exiger leur dû. Ils sont dans nos enfants, nos voisins, et en nous-mêmes. Ils sont le reflet de notre besoin absurde de frissonner, de croire à l'irrationnel, ne serait-ce qu'une seule nuit par an, avant de retourner à la normalité assommante de la vie.


Alors, la prochaine fois que vous ouvrirez votre porte à un petit vampire édenté, regardez-le bien. Car vous ne savez jamais ce qui se cache vraiment sous le masque, entre deux grosses baraques de l'Île Jésus. C'est le grand bal masqué de notre inconscient collectif, et la musique, c'est le froissement des sacs de bonbons. Quel spectacle, mes amis !


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