Quand l'Agenda Tue : La Vraie Valeur du Temps Perdu

 


On nous a toujours dit qu'il fallait faire. Faire de l'argent, faire carrière, faire des enfants, faire la vaisselle. Toujours faire. Mais moi, je vous dis, mes chers vivants, que le plus grand accomplissement de l'humanité, l'acte de résistance le plus pur face à la machine qui nous broie les tripes, c'est de niaiser. De niaiser sans vergogne, sans but, avec cette insouciance grasse et molle d'un chat qui se pogne le bacon au soleil.


La vie, t'sé, c'est une immense salle d'attente. De la naissance à la mort, on attend. On attend l'autobus, le salaire, l'amour, le diagnostic. Et dans cette attente perpétuelle, on nous a filé une maudite montre intelligente pour qu'on mesure notre angoisse, qu'on quantifie notre panique. Pour qu'on s'active. Bon Dieu! Mais si on arrêtait de regarder le cadran? Si on la laissait, cette sainte montre, se ramasser dans un tiroir avec les bobettes et les promesses fanées?


Juliette, mon ex belle-sœur, elle, a jamais niaisé. Jamais. Son existence, c'était un calendrier Excel, une suite de cases cochées, de « to-do lists » plus longues que le bras. De l'aube au coucher, elle courait après son temps, comme après un voleur invisible qui lui aurait subtilisé sa dignité. Puis un jour, son cœur a lâché. Pas un infarctus spectaculaire de film, non. Juste un petit squeak, un vizz-vizz discret, comme celui d'une montre qui s'éteint. Et les médecins, ces charlatans de la mesure, ont dit : «Surmenage.» Mais moi, je sais. C'est l'absence de niaiserie qui l'a tuée. Le vide de l'âme qui n'avait jamais eu le droit de flâner. C'est ça l'horreur, la vraie. Pas le monstre sous le lit, mais le monstre dans l'agenda. L'horreur de n'avoir jamais rien foutu d'inutile.


Pourtant, c'est dans la niaiserie que réside la vérité de notre chair. Quand on niaise avec la puck sur la patinoire arrière, sous un ciel de février qui te gèle les cils, ce n'est pas un entraînement. C'est une conversation avec la glace, un murmure avec le froid. Chaque coup de bâton, chaque glissade maladroite, c'est une seconde de l'éternité volée aux obligations, un vas-t'en silencieux à l'efficacité. On apprend plus sur soi en niaisant avec une rondelle qu'en lisant dix bouquins de développement personnel. La puck, elle, ne juge pas ton score de performance.

Et la file à la SAQ, ayoye! 

Ce monument à la patience québécoise. Qu'est-ce qu'on y fait, sinon niaiser? On scrute les étiquettes de vin avec une fausse profondeur, on écoute les potins des commis fatigués, on échange un regard complice avec le type d'en avant qui a l'air d'avoir oublié sa dignité au fond de sa poche. On se pogne le bacon, on respire le temps. C'est un purgatoire collectif, mais un purgatoire douillet, où le seul péché est de vouloir accélérer le pas. Mon sage voisin aurait dit que l'attente est la seule preuve de la durée, et la durée, la seule preuve de l'existence. On n'attend pas de l'alcool, on attend la confirmation d'être en vie. De sentir la chair s'étirer, l'ennui s'installer, la pensée s'évaporer.

La niaiserie, c'est notre devoir civique parce qu'elle est l'antithèse de la guerre. Les gens occupés sont des gens dangereux. Ils ont trop de temps pour planifier des conquêtes, des colonisations, des agendas. Mais les gens qui niaisent, eux, sont trop absorbés par l'odeur du pain grillé ou le son du vent dans les feuilles pour songer à dominer le monde. Ils sont déjà occupés à être, tout simplement. À goûter la tarte de la vie sans mesurer le diamètre de l'assiette.


Alors oui, m'enfin, la prochaine fois que vous avez une heure à tuer, ne la tuez pas. Laissez-la vivre. Laissez-vous niaiser. Regardez les nuages, écoutez le silence, sentez le poids de votre corps sur le divan. Car c'est là, dans cette inactivité joyeuse, dans ce doux refus de la performance, que l'on se sauve. Que l'on se réapproprie notre âme de vivant. Que l'on donne un grand coup de pied au cul à la machine à broyer le temps.


Et ça, mes amis, c’est pas de la petite bière. C’est la vraie liberté. Quel plaisir!


Commentaires

  1. Un de tes textes que j'aime le mieux ... vive la farniente ... Ne rien faire, c'est aussi faire quelque chose ...

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    1. Ouais! C'est formidable de vieillir ! Maintenant, j'ai tout le temps de ne rien faire, et surtout, d'oublier ce que j'étais censé faire avec ce temps-là. C'est l'âge d'or de la procrastination sans culpabilité !

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  2. Bon merdecredi! 😉
    J'attends jamais en ligne pour mon Whisky, j'envoie les autres Hahaha!

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    1. Pis moi j’prends pas d’alcool mais j’adore penser que je prendrais mon whisky sec assise dans un bar western! 🤪

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    2. Je te suggère de l'eau humide alors sur le bord de ce que tu veux! 😉 C'est réalisable facilement 😁

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