Entre Nœuds et Nostalgie
Ah, Noël. C'est pas tant la crèche que le foutu bordel annoncé d'la guirlande. On l'a rangée vite fait l'an passé, dans un élan d'optimisme niaiseux qu'il suffisait de plier sans malice pour qu'elle s'déploie sans t'accrocher l'année d'après. Quelle maudite joke! C'est là que le bonheur s'cache, j'vous dis, dans le cœur du nœud.
On sort la boîte, cette vieille patente annuelle qui sent le carton moisi pis le souvenir de sapin roussi. Pis là, la bibitte. Un paquet d'fils, de petites lumières qui clignotent ou pas, ça dépend de la petite ampoule récalcitrante qui met la chienne à tout le circuit. On soupire, on sacre à voix basse, on maudit l'ingénieur qui a concocté ce piège de Satan. C'est là que la patience, cette sainte vertu qu'on brandit comme un bouclier, devient notre seule amie. On tire un fil, doucement, comme un chirurgien sépare les tissus, craignant à chaque mini-mouvement d'aggraver la plaie, de transformer le nœud en un monstre que personne peut défaire. On parle à la guirlande, on la supplie, on la menace, comme on ferait avec un enfant têtu qui veut pas s'habiller.
Pis là, lentement, miracle. Un bout de lumière s'débarrasse, un bout de fil r'prend son souffle. Un p'tit sourire esquissé, une petite victoire. On déroule, on démêle, on s'bat avec les méandres de l'électricité du temps des Fêtes. Les doigts gelés à cause du froid d'la cave, le dos tout raide à force de s'pencher sur cette énigme qui flashe. C'est là, dans cette obstination acharnée, qu'éclate le bonheur. Un bonheur p'tit, tranquille, celui de la job faite, du bordel maîtrisé.
Mais quand la voix de nos parents r'sonne plus dans le vacarme des préparatifs, quand leurs rires percent plus le crépitement du foyer, le démêlage des guirlandes prend une tout autre couleur. La patience se mêle alors à une nostalgie qui rentre dedans. Chaque nœud défait, c'est un souvenir qui r'monte, une image vite fait d'un Noël d'avant où leurs mains, si sures, nous montraient le chemin. C'est une mélancolie douce-amère qui s'invite, une ombre délicate sur l'éclat des lumières. On s'surprend à chercher leurs conseils, leurs petites manies, leurs sacres discrets face à l'entêtement des fils. Pis on r'sent alors ce feeling bizarre, cet amour-haine. Amour pour ce passé qui nous a faits, pour ces moments gravés dans notre chair, pis haine pour cette absence qui creuse un trou béant dans la fête, une place vide à la table qui s'remplira plus.
Après, c'est l'accrochage. Le sapin, lui, trône, majestueux tout nu au début. Il attend, pas bougé, le moment où il va d'venir le centre du kitsch familial. On y jette les guirlandes, on les drape avec une symétrie pas mal, parce que pas égal, c'est ben plus charmant. Chaque lumière allumée est une petite étincelle dans l'âme, un rappel que même dans la noirceur, y'a de la clarté. Mais cette clarté est asteure teintée d'une lumière différente, celle des pleurs retenus, des souvenirs précieux qui brillent aussi fort que les ampoules.
Pis les boules. Ah, les boules. Pas n'importe lesquelles. Une rouge. La première. Un éclat vif, audacieux, un coup de pinceau sur la toile vierge. On la pend avec le sérieux d'un artiste qui signe son œuvre. Pis on s'souvient p't-être de la main de notre mère, nous expliquant où la mettre pour qu'elle soit parfaite. Ensuite une dorée. Plus discrète, plus chaleureuse, elle vient adoucir la fougue de la rouge, lui donner une réplique, un écho. Pis on r'voit le sourire de notre père, fier de notre affaire. Chaque boule est une note, un accord, dans la toune du sapin, mais aussi un p'tit bout d'un passé qu'on peut juste aimer pis regretter en même temps. C'est un rituel, quasi une messe. La rouge, la dorée. Pis on continue, jusqu'à ce que le sapin, transformé, brille de mille feux, une constellation d'chez nous.
C'est pas tant la beauté du sapin à la fin, non. C'est la patience du démêlage, la satisfaction de l'accrochage, la répétition du geste. Mais asteure, ce bonheur-là est une étoffe plus compliquée, brodée de fils d'or pis d'argent, mais aussi de fils plus foncés, ceux de la mémoire pis de l'absence. C'est dans cette besogne minutieuse, dans cette attention portée aux détails, que le bonheur de Noël prend racine. Un bonheur qui est pas un gros flash de joie bruyante, mais une chaleur douce, qui reste, comme les lumières de la guirlande qui veillent sur nos nuits de décembre. Une chaleur qui réconforte pis qui brûle un peu, en même temps. C'est ça, le vrai plaisir des Fêtes, une bataille gagnée contre le tas de fils, un ballet de boules colorées, une ode à la persévérance tranquille, mais aussi un hommage vibrant à ceux qui sont plus là, mais dont l'amour continue de tisser la magie de Noël. Pis ça, ma p'tite amie, ça vaut toutes les dindes farcies du monde.



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