Le bonheur, ça se cherche pas. Ça se remarque!
Le bonheur minimal: Essai sur la victoire négative
Le bonheur, on nous le vend comme une quête, un graal que l’on irait décrocher au sommet d’une montagne tibétaine. Foutaises. Le bonheur n'est pas une destination. C'est une négative. C'est ce qui se remarque dans l'absence du désastre imminent. Une chose si fragile, si furtive, qu'elle ne tient que par la minceur d'une non-catastrophe.
Je vous le dis, le bonheur est un fait divers anodin, une brève de survie.
Il se signale dans la sainte trêve des trente secondes où l’on peut enfin mordre dans le beigne avant que l’univers ne conspire à sonner de tous ses téléphones, sonnettes et sirènes. C’est cette micro-seconde de mastication en paix, une paix que l’on croyait réservée aux moines et aux morts.
Ou cette main, tâtonnant l'intérieur du Frigidaire, non pas à la recherche d'une nouvelle saveur, mais de la survivance. Et là, miracle du quotidien, le Timbit. Ce petit anneau de sucre, que l’on croyait voué à la voracité du p'tit, est encore là. C’est la preuve tangible que l’égoïsme n’a pas tout vaincu, ou que l’enfant, par mégarde, a fait preuve d’une parcelle d’humanité. L’univers est juste. Un Timbit sauvé est un Timbit mérité.
Puis il y a la découverte. Le geste machinal de glisser la main dans la poche d’un manteau oublié, cette relique d'hiver remisée. Et sentir le crissement du papier: cinq dollars!
Ce n’est pas l’argent, entendez-moi bien. C’est la surprise. C’est la petite victoire sur l’oubli, une prime que l'on s’est soi-même octroyée, une bouée lancée par son propre passé. L’illusion d’une richesse immédiate pour l’achat d’un deuxième beigne. Le cycle du bonheur est bouclé.
Et le café. Ah, le café. Ce liquide noir, indispensable, que l'on pose distraitement sur le toit du char avant de partir. Le bonheur n'est pas de boire ce café. Le bonheur, le vrai, c’est de remarquer sa présence sur le toit avant le premier virage. Éviter la douche chaude d'expresso qui aurait ruiné la journée, le siège, l’âme. Éviter la crise majeure.
Nous sommes des athlètes de l'évitement. Le bonheur est notre médaille de bronze.
Mais il y a le Nirvana québécois.
Ce pays où le mot «circulation» est un euphémisme pour «tapis de marde» orange et rouge. On entre en ville avec une certitude sombre: l'errance sera longue, le stationnement une chimère. On calcule, avec une précision d'orfèvre, les quarante-cinq minutes minimales de pure souffrance existentielle. On s'apprête à haïr son prochain, son char et sa propre existence.
Et puis.
BAM!
Devant la porte. Un spot. Un vrai, grand, assez large pour le pick-up, pas cette demi-place grotesque entre deux colonnes de béton. Un vide parfait, une béance accueillante.
Ce moment-là, ce n’est pas du bonheur, c'est une confirmation. C'est le destin qui, pour une fois, nous prend par la main. C’est la preuve formelle d'une préférence divine inattendue. L'impression d'avoir gagné à la loterie que personne d'autre ne jouait. On se gare, on coupe le moteur, on respire. On réalise: «Ça. C'est ma seule victoire de la semaine. Je la prends. Merci, la vie.»
Le bonheur n'est pas de trouver l'amour ou la richesse. C'est de trouver un spot. C'est l'essence même de notre tragédie: notre salut tient à un anneau de Timbit et à un mètre carré d'asphalte libre. Et ça, calvasse, ça mérite qu'on s'y arrête.



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