Le Frisson du Grand Blanc

 

La première neige. Le monde en parle comme d’une fête. Voyons, donc, c'est juste la première pelletée de l'enfer qui s'en vient. Pour ceux qui ont pas la tête dans les nuages ceux qui savent c'est le début de l'isolement le moment où la Blancheur te dit: Fais ton deuil, t'es tout.e seul.e dans ta cabane jusqu'au printemps.

Ce blanc-là, il est méchant. Il est pas pur, il est vide. C'est le zéro absolu une chose horriblement parfaite qui te coupe de l’air et qui s'installe partout, même dans tes petits coins de tête où tu voulais pas que ça aille.

Quand ça commence à tomber, c'est comme des flocons de vitres, des minces poches de froid. Et la ville, la grosse bête, elle tousse un coup et elle se ferme la trappe. Ce qui suit, c'est pas la paix, c'est le silence de l'attente celui où tu entends juste le sang qui te bourdonne dans les oreilles pis le vent qui crie comme une vieille matante Ginette fâchée.


La neige, elle sacoche tout. Elle te gêne le chemin elle te mélange les repères. Toutes les vieilles shacks, les poteaux croches, le vieux hangar sur le bord du bois, tout est nappé d'un coup. Ça fait beau, oui, mais c'est une beauté fourbe une crasse qui te cache la vérité: sous ça, c'est mou, c'est frette, pis ça peut être n’importe quoi.

Les épinettes, au lieu d'être des cathédrales, elles ont l'air de vieux fantômes voûtés par le poids, comme si elles portaient toutes les peurs de l'hiver. Tu feel qu'il y a quelque chose là-dedans, mais tu le verras pas tant que ce sera pas trop tard.


La tempête pogne, pis là, t’es pris.e. C'est le vrai deal. La neige monte, monte, pis ça devient une muraille de poudre qui t'isole plus qu'une clôture barbelée.

C'est là que le vrai trouble commence, pas dans la cour, mais dedans. Ton chalet, ton petit chez-toi tranquille, devient une prison. T'es pogné.e avec les silences gênants de ta propre tête. Les petits chagrins qui dormaient là se réveillent en taverne, ils te hurlent dessus, pis ils cognent sur la porte de tes pensées.

La folie, elle vient pas avec les monstres sous le lit. Elle vient quand t'es ben trop tout.e seul.e à regarder le blanc qui flash par la fenêtre. Tu commences à voir des affaires: une ombre qui décale dans la haie, une trace qui n'est pas celle d'un lièvre, des voix de femmes qui pleurent dans le vent.

Pis si tu sors prendre l'air, tu vas voir tes propres traces pis tu vas te demander si c'est vraiment toi qui les as faites. La neige, c'est une mémoire glacée. Elle garde tout. Elle garde les os du pauvre gars qu'a pas fait attention l'hiver passé, pis elle garde les secrets que t'as enterrés derrière la grange.

La neige, c'est pas de la gentillesse. C'est une criss de jarnigoine de la nature. Elle s'en câlisse de tes rêves pis de tes problèmes de bottes gelées. Elle est là pour te rappeler que t'es petit.e, que t'es frette, pis que tu vas mourir un jour, peut-être bien enseveli.e sous sa couche parfaite.

Quand tu la regardes bien, tu vois pas la poésie, tu vois le visage dur de l'univers, qui est froid en simonac. La neige est blanche pour une seule et unique raison: pour masquer le noir profond qui est dedans, et le noir profond qui est dans le fond de ton cœur.

Alors, la première neige est blanche, oui. Mais c'est le blanc qui annonce la couleur. C'est le blanc qui te fait peur au ventre, le blanc du grand vide qui t'attend, pis t'es mieux d'être prudent en maudit.


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