Le frette, le virus, et la visite: Chroniques d'un temps suspendu
Le temps des Fêtes, chez nous, c’est pas une carte postale avec de la neige qui tombe juste à l’heure. C’est une affaire plus lourde, plus lente, qui sent le bouilli et la congestion, le joual qui se cogne aux murs comme la misère. On a beau essayer de mettre une petite lueur dans les fenêtres, le frette du Québec, lui, il s'en câlice. Il rentre par les craques de portes, il s’installe dans les os, et c’est là qu’on comprend que le temps, lui non plus, n’a pas la même vitesse.
C'est drôle, le temps. Ma mère aurait dit que c'est une vieille maudite qui prend son pied à nous faire poireauter. Quand les jours raccourcissent, on dirait qu’une force invisible applique les freins. Les minutes s'étirent comme une pâte à tarte mal pétrie. C’est l’attente, bien sûr. L’attente des cadeaux, l’attente du réveillon, mais surtout l’attente que l'hiver s'achève. Dans la rue, les pas craquent avec une solennité exagérée, et chaque souffle se transforme en une petite mort éphémère. C'est le monde en stand-by. Une forme d'éternité québécoise où tout est ralenti, figé dans la glace, sauf peut-être les cœurs qui cognent un peu plus fort, anxieux de la rencontre.
Ah, l'hiver au Québec! C'est le moment de l'année où l'on découvre enfin pourquoi les autres civilisations ont préféré s'installer dans des climats où sortir de chez soi ne constitue pas un exploit olympique. C'est aussi la seule saison où le fait de réussir à plugger son chauffe-moteur sans perdre un doigt mérite une ovation debout des Dieux du froid.
Mon père, lui, aurait décortiqué ça avec une froide logique qui frôle l'absurde. Le temps qui ralentit, c'est l'occasion parfaite pour l'introspection forcée. On est confiné, non par décret, mais par la tyrannie du gel. Et dans cette lenteur, la maladie trouve toujours sa place. Le virus, c’est notre invité permanent et non désiré, celui qui passe de gorge en gorge avec une obscénité presque charmante; qui nous mène à la pharmacie.
Le virus, c’est la seule chose qui, à Noël, réussit toujours son come-back. C'est une tradition, un peu comme le discours de l'Oncle Gérald sur le prix de l'essence, mais en plus contagieux. Nous, on s'échange le petit colis de germes festifs en se serrant dans les bras, parce que rien ne dit “Je t'aime” comme la certitude d'éternuer ensemble le lendemain. C'est ça, la communion des saints: une épidémie de bonne volonté.
Avant la Visite, il y a le déploiement. On ne décore pas par joie, on décore pour la compétition de rue, pour humilier subtilement le voisin qui a osé mettre un cerf lumineux de trop petite taille.
Le but avoué de la décoration extérieure est d'atteindre un niveau d'illumination tel que les pilotes d'avion de ligne peuvent confondre votre façade avec l'aéroport de Trudeau. Quant à l'arbre intérieur, chaque guirlande mal mise et chaque boule de travers est une preuve de notre lâcheté esthétique. On se dit qu'on la rectifiera plus tard, mais le plus tard n'arrive jamais, laissant l'arbre tordu comme un symbole parfait de la famille.
Et puis il y a la Visite. L'apothéose du ralenti. On s'entasse, on se sent l'haleine, on s'échange des politesses qui sonnent faux comme des quarante sous. La parenté, c'est comme une pièce de Tremblay: tout le monde jase de ce qui n’a pas d'importance, mais entre les lignes, on entend parfois les vieilles rancœurs qui grattent. La tourtière de ma tante Huguette? Un chef-d'œuvre de graisse figée qui nous rappelle, à chaque bouchée, que l'espérance de vie est un concept très optimiste. Et le fameux Pouding au chômage est l'hommage parfait à la situation financière de la moitié de la table. On mange lourd, parce qu'il faut bien absorber les jugements avec quelque chose.
Et vient le moment des offrandes, ce rituel barbare où l'on déballe devant témoins les preuves tangibles de notre méconnaissance mutuelle.
On passe des semaines à chercher le cadeau parfait, pour finalement aboutir à un certificat-cadeau de 25 dollars chez Pharmaprix. C'est l'aveu silencieux: «Je n'ai aucune idée de qui tu es, mais prends ceci pour que l'on puisse passer à autre chose.» Les enfants s'ouvrent à peine les mains devant le kit de blocs de construction, déjà tournés vers les écrans brillants et le cynisme de l'âge adulte. C'est l'échange codifié des déceptions, orchestré avec une précision d'horloger. La vraie magie de Noël, c'est de sourire avec gratitude pour le chandail en acrylique de l'Oncle Gérald, tout en planifiant sa revente en ligne.
On passe des semaines à chercher le cadeau parfait, pour finalement aboutir à un certificat-cadeau de 25 dollars chez Pharmaprix. C'est l'aveu silencieux: «Je n'ai aucune idée de qui tu es, mais prends ceci pour que l'on puisse passer à autre chose.» Les enfants s'ouvrent à peine les mains devant le kit de blocs de construction, déjà tournés vers les écrans brillants et le cynisme de l'âge adulte. C'est l'échange codifié des déceptions, orchestré avec une précision d'horloger. La vraie magie de Noël, c'est de sourire avec gratitude pour le chandail en acrylique de l'Oncle Gérald, tout en planifiant sa revente en ligne.
La maison est trop chaude, le contraste avec l'extérieur est violent. On transpire sous nos lainages, mais on ne se déshabille pas, par respect pour la grande mascarade. C'est le moment où le temps, malgré tout son effort à se traîner, redevient presque rapide par la densité des interactions. On cherche l'issue. On compte les heures avant que le départ, cette délivrance glaciale et salvatrice, soit possible. On retourne au frette, aux trottoirs glissants, juste pour sentir que l'air nous appartient à nouveau.
Le temps des Fêtes est un oxymore puissant. Un concentré de vie intense, de maladie et de chaleur forcée, niché au cœur d'un hiver qui nous force à ralentir et à penser. C'est le Québec qui s'arrête, non pour méditer, mais pour mieux s’obstiner autour du ragoût de pattes. Et l'année prochaine, on recommencera, avec le même virus, le même frette, et la même inéluctable Visite.



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