Six heures zéro-trois: La guerre froide du matin
Le réveil, c'est pas un appel, c'est un constat plate. À six heures zéro-trois, la lumière de la couette projette une vérité pas chic au plafond: la run recommence. Le corps, cette maudite machine en guimauve, il exige que tu te lèves.
Mon amie asperger, elle aurait noté l'heure. Six heures zéro-trois. Pas l’idéal. L’idéal, c’était six heures zéro-zéro, point. Trois minutes perdues. Trois minutes où la graine de mou est revenue, où tu as eu le goût de te dire: «Ah, pis non, j’ai le temps.» Mais moi, j’aurais vu la couette comme un «barrage de ouate» contre le frette de l’extérieur. Je me lève. C’est la première victoire. Une victoire invisible, pas même enregistrée par le gouvernement, mais cruciale. Parce que si tu cèdes au sommeil tout de suite, t’auras jamais le courage de confronter la Grande Cenne qui gère la circulation sur la 40, les taxes de bienvenue, et, secrètement, la qualité de ta tartinade de cretons végétariens.
- Le premier verre d'eau. Un litre. Non pas par soif, mais par décret d’être fonctionnelle. Si tu t’hydrates pas avant de prendre le javel (le café), les marges de manœuvre dans ta tête diminuent. La société n’aime pas les marges de manœuvre diminuées. Ça fait des «conchoncetés». Les «conchoncetés» sont un luxe qu'on a skippé. Je bois l'eau, température pièce, ordinaire, et je sens l'immense, l'épouvantable satisfaction d'avoir checké une boîte sur la liste invisible. Faire sa tâche, c’est le seul plaisir pas trop compliqué.
- Le courriel niaiseux. Celui qui a «traîné deux jours». Deux jours, c’est l’éternité quand t’es sur le speed. Deux jours, c’est une preuve que t’es un peu malcommode dans ton système. Mais le courriel, c’est pas juste un message; c’est une tique numérique qui se pitche sur ton attention non donnée. Le rédiger, le relire une seule fois (le relire deux fois), puis l’envoyer. Le clic de l’envoi, c’est le bruit de la tique qui s’éteint, qui retourne dans le néant binaire d’où elle aurait jamais dû sortir. Une petite victoire du bon sens contre le chaos. Un bon sens mince comme une pince à linge.
- Le tas de dossiers. La baleine de papier. Chaque feuille, c’est une affaire pas réglée, un bébé lala administratif, une promesse brisée à l'efficacité. Le ramasser, c’est pas juste une affaire de bras; c’est un acte de foi. Tu remets de l’ordre dans ton cosmos immédiat, tu repousses l’entropie qui, selon toute apparence, est la vraie déesse de notre temps. Le coin de mon bureau est maintenant une Zone Zéro Défaut de Performance jusqu’à ce que, bien sûr, la journée elle-même sème un nouveau germe de trouble. Moi, plus jeune, m’aurait dit: «La seule beauté qui dure, c’est celle d’un tas bien placotté.»
Ces petites victoires. Elles font pas les news. Elles débloquent pas de CADEAUX de la part du boss. Chaque journée, c'est pas fait de grandes conquêtes, mais d’une série infinie de petites défaites maquillées en succès. On pitche la barre de ce qui est réussi toujours plus bas, toujours plus bas, jusqu'à ce que juste se lever à six heures zéro-trois semble une subversion audacieuse de l'ordre cosmique. C'est de même qu'on tient le coup. En transformant le simple fait de fonctionner en une affaire de fier-à-bras.



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