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Chroniques du Blanc d’Oeuf: Où les 50 ans de ma vie font leur pli dans le simili-cuir

 


Écoutez-moi bien, mes ami(e)s. Oubliez les hosties de feuilles d’érable pis les poètes de l’Île-du-Prince-Édouard. Ici, on est à Vimont, Laval. Et le seul drame qui se joue ici, c'est sur cette Banquette-là, celle du Blanc d’Œuf, troisième à partir de la toilette. T’as affaire à un morceau de simili-cuir qui a vu plus de cacas de client qu’un médecin de famille. Moi, je l’appelle la Grande Matrice. Elle est large, elle est lousse, pis elle porte les marques de mon propre postérieur comme une médaille.

Je m'y suis assise des centaines de fois. C’est toujours avant 8 h 30 tapant. Pas un instant après. C’est l’heure stratégique, celle qui permet de profiter du spécial omelette — ce petit luxe matinal — et surtout, de partager le peu de temps que ma cousine a avant d'aller travailler comme une damnée. Quand mon derrière s’y dépose, je jure que j’entends le rembourrage me murmurer : «Ah, vous êtes pas pressées, aujourd'hui, les filles. On se dépêche pareil avant le travail. Forza!»


La Banquette ne rigole pas avec l'horaire. Elle sait que ce laps de temps est notre bulle, notre caprice de cinquantenaires avant que la journée ne commence pour de vrai. C'est ici, sur cette banquette, que les 50 ans de ma vie s'ancrent dans la routine.


Elle n'est pas la seule à régner ici. La Banquette, elle vit sous le regard des matriarches de la salle à manger. Les serveuses, d’âge mûr, avec la plupart d’origine italienne, portent leur expérience comme un stiletto. Elles te servent avec la douceur d’une mamma. C'est très fréquent que la Cubaine avec son bel accent, qui amène le café avec un «Bonjour, ma belle!» chaud comme un soleil de Santiago, le seul qui arrive à dérider la Banquette.


Quand je suis avec ma cousine, c’est l’intensité du potin concentré. On parle vite, on parle fort, on parle des drames de famille et des menus sans gluten, sans trop de lactose et avec peu de féculents. La Banquette, elle absorbe la tension, le stress de la vie qui attend. Elle sait que notre jase, c'est notre façon de nous purger avant de mettre le pied au bureau. C'est du Marie Laberge en accéléré: tout le kit d'émotions en deux heures et cinq minutes.


Elle a connu mon postérieur à 37 ans et celui à 50 ans. Elle sent la différence. Le poids est plus le même, mais l'urgence a changé. À 37 ans, je venais pour gagner du temps. À 50 ans, je viens pour arrêter le temps. Juste le temps d’une omelette titanesque dont je rapporte la moitié à la maison pour fiston qui est en spécial avant 8:30.


Le jour où je viens seule — quand ma cousine est trop malade ou en vacances — la Banquette me le fait sentir. Elle est plus raide, plus silencieuse. Elle s'attend à mon fils, cet impatient qui tape du pied. Mon fils, qui ne comprend rien à cette routine. La Banquette doit soupirer : «Lui, il pense que le Blanc d’Œuf, c'est un arrêt rapide. Il ne sait pas que ce simili-cuir, c'est le seul endroit où sa mère a le droit de se laisser aller avant 8 h 30.»


Son grand secret, elle me l’a confié l’autre matin, juste après que Linda ait ramassé mon assiette vide. Elle a dit, d'une voix qui sentait le bon café et le détergent à plancher: «Tu sais, bella, tu viens ici pour te plaindre des autres. Mais regarde-toi, regarde ta cousine, regarde les serveuses. Moi, je peux prendre ma retraite un jour. Mais toi, tu reviendras. Parce que ce que tu cherches, ce n'est pas le spécial. C'est l'endroit qui tient bon, l'endroit où tu as le droit de te déposer avant que le monde entier s'assoie sur toi.»


Alors, la Banquette du Blanc d’Oeuf, elle est la feuille d'érable qui refuse de tomber, oui. Elle refuse surtout de laisser les autres tomber, surtout avant 8 h 30. Elle tient, car elle sait que ce petit créneau matinal, c’est le seul moment de grâce que j’ai.

Capito? Quand je m’y assieds, je pense à elle. Pense aux serveuses. C'est le cœur battant, fatigué, mais irremplaçable de la vie à Vimont.

Ciao.


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