Écoutez-moi bien. La gentillesse, ce n'est pas une qualité. Pour moi, c'est la fatigue qui s'est déguisée en bonne manière. C'est l'huile de sésame qu’on rajoute sur une vieille blessure. C’est le burn-out qui arrive, mais version dim sum sucré.
On m'a élevé à Sainte-Foy, dans la rue où Marie Carmen a vécu. Le parc de mon quartier a vu Jean Leloup, déjà étrange, mais au moins il était vrai! J'ai eu la chance d'être imprégnée de cette culture de Québec où on dit les affaires. Et on m'a élevée aussi avec le respect à la chinoise. Toujours être fine, jamais faire de vagues. Mon père disait : «Ne sois jamais la baguette qui dépasse du bol.»
Tabarnouche, c’est quoi ça, ne pas dépasser? C'est se donner le droit de se faire tasser! La gentille, c’est le buffet à volonté de Duvernay. Tout le monde se sert, personne ne demande si tu as besoin d'une chaise pour t'asseoir.
Mon intention, elle est transparente, c'est ça le drame. J'ai un cœur gros comme une chaudière de riz frit, mais je ne suis pas capable de dire un «Non» qui a du nerf. On est arrivés à Laval en 2010 pour y élever notre bébé, avec le chéri, et depuis, c'est l'ère de l'accommodement.
Chaque fois que je dis «Oui» à la collecte de fonds de l'école ou à un autre évènement bénévole alors que j'ai juste le goût de sacrer mon camp, j'ajoute une autre boîte de vieux souvenirs à mon propre déménagement forcé. C'est pas de la bienveillance, ça, c'est de l'auto-flagellation. On dit que je suis forte. Forte, c'est de regarder ma propre fatigue, la face sans filtre.
Le fardeau, c'est quand les attentes des autres – le prof, la voisine, le chum, l'ado – pèsent plus lourd que mon sac de courses plein à craquer. Je fais des détours jusqu'au métro Montmorency, je dis que j'ai le temps pour le souper de famille même quand mon lavage de la semaine est empilé comme la Grande Muraille, pis que je suis à boutte. On pense que c'est ça, la vie de mère: accommoder, accommoder, accommoder.
C’est comme les cônes orange de l'A-440. Tu prends toujours le détour pour éviter la vie de l'autre, pour pas le déranger, pis à la fin, t'es tellement détournée que tu ne sais plus où est ta propre maison. Je me dis : «Je suis capable, je suis forte.» Mais la force, elle n'est pas là.
Un vieux du Chinatown me disait : «Ton feu, il s’éteint si tu y mets pas assez de bois. T'es pas un feu pour les autres, t'es ton propre feu.» Faut pas donner sa dernière bûche de gentillesse. Sinon, il te reste juste les cendres, pis là, personne ne te trouve fine pantoute. La politesse, c’est le paravent idéal du désastre personnel. C’est la plus grande arnaque du Québec moderne: le «Ça va?» qui ne demande qu'une seule réponse.
Si j'ose répondre: «Non, ça ne va pas. J'ai de la misère à me trouver une brassière cinquantenaire, ma mère me tanne pour que je lui rende visite à Québec (c’est faux parce qu’elle mange les pissenlits par la racine depuis 5 ans), et mon four a lâché,» vous créez une panique sociale. C'est un scandale.
La gentille a développé une expertise suprême: le faux l’fun. Je simule l’enthousiasme pour un souper plate, je ris d’une blague pas drôle du voisin raciste, et je souris même quand mon adolescent me répond avec un seul emoji. C’est une performance, une tragédie de pure hypocrisie. Et je le fais par pure lâcheté d’être moi-même.
Il faut juste se rasseoir dans le silence. Peut-être un midi, seule, dans le parking d'un IGA. Dans le silence, y a pas besoin de dire «Oui» ou «Non». Y a juste être.
La vraie gentillesse, il faut qu'elle soit donnée à partir d'un endroit qui est plein. Pas à partir d'une tasse de thé vide. Faut que je sache où est mon Nord sur ma boussole.
Ça demande du cran. Faut être straight. Faut dire à l'autre : «Merci, mais là, je suis barrée pour ça.» C’est pas égoïste. C'est de la survie. Et quand tu fais ça, tu deviens pas baveuse, tu deviens juste vraie. Et le vrai, maudit que c’est beau.

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