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La sagesse de la vieille Marguerite

 

Chapitre 1

[Le départ]


Le reste du chemin s’est fait en silence. Louis galopait tranquillement, et Marie-Anne, sur sa jument, s’accrochait de toutes ses forces à la selle, priant en silence pour ne pas tomber. Sa tête était pleine de questions. Qui était cet homme ? Qui était Dan Sioui, son collègue retraité, qui avait l'air de faire affaire avec un noble du 18e siècle ?

La route s'est terminée sur une petite clairière. Une petite maison en bois, avec un jardin rempli de fleurs et d'herbes, se dressait au milieu des arbres. De la fumée s'échappait de la cheminée. L'air sentait le bois de feu et les herbes séchées. C'était la maison de la vieille Marguerite.

Louis est descendu de son cheval et a attendu que Marie-Anne le fasse. Elle a réussi, mais de justesse. Il lui a donné un regard, à la fois amusé et résigné. Il a attaché les chevaux à une clôture en bois, puis a frappé à la porte.

Une vieille femme, petite et ronde, avec un visage tout en rides, a ouvert la porte. Elle avait un sourire bienveillant et des yeux d'un bleu pâle, qui semblaient tout savoir.

–  Louis ! Ça fait longtemps ! 

–  Marguerite, je t'amène quelqu'un. Elle a l'air d'avoir le cerveau en compote.  Bien sûr, je t’ai apporté des provisions et des peaux. 

Marguerite a regardé Marie-Anne, de la tête aux pieds. Ses vêtements, sa tenue étrange, son allure. Elle a posé ses yeux sur le cou de Marie-Anne et a souri, comme si elle avait compris quelque chose.

– Entrez, les enfants. Le dîner est prêt. J’devrais en avoir assez pour nous trois! 

Louis est entré, et Marie-Anne l'a suivi, les jambes tremblantes. À l'intérieur, la chaleur du feu remplissait la petite maison. L'odeur de la soupe aux pois et du pain chaud flottait dans l'air. C'était un réconfort.

Marguerite a posé une assiette devant elle, puis elle a pris une chaise. 

– Alors, qu'est-ce qui t'est arrivé, ma petite ? 

Marie-Anne a regardé Louis, puis a regardé Marguerite. Louis a levé les yeux au ciel, l'air de dire : 

– Dis-lui la vérité. Elle ne te jugera pas. 

Marie-Anne a pris une grande inspiration et a commencé à raconter une version modifiée de son histoire.

–  Je... je me suis perdue en forêt. Je venais d'arriver au pays, et je... 

–  Tu venais de France, c'est ça ?  a demandé Marguerite, avec un regard qui la faisait se sentir comme une enfant.

Marie-Anne a hoché la tête. 

–  Oui. Je suis arrivée avec une famille, mais je me suis perdue. 

–  Ah, misère. Louis a secoué la tête. J'te l'ai dit, elle est ben mal partie. 

Marguerite a ignoré la remarque de Louis. Elle a pris la main de Marie-Anne. 

–  Tu as l'air fatiguée, ma petite. Tu as la tête ailleurs. 

Marie-Anne n'a pas pu s'empêcher de penser à Dan Sioui et à l'homme aux yeux bleus perçants. Elle a senti ses joues rougir. Elle était censée être une historienne, mais en ce moment, elle ne savait rien, ne comprenait rien.

–  Je... je vais m'en sortir. 

rien.

– Je sais que tu vas t'en sortir. Mais il faut que tu saches que le Québec n'est pas ce que l'on lit dans les livres. Il est ce que l'on ressent dans son cœur. 

Marie-Anne a regardé Marguerite. C'était la phrase que Dan Sioui lui avait dite à l'université. La même phrase, les mêmes mots. Le monde de Marie-Anne a commencé à se mettre en place. Elle n'était pas une simple voyageuse du temps. Elle était une pièce d'un jeu, et Marguerite et Dan Sioui étaient les pièces maîtresses.

Louis, lui, n'a rien remarqué. Il a continué de manger sa soupe, tout en jasant avec Marguerite, le cœur léger. Pour lui, tout était normal, sauf Marie-Anne. Mais pour Marie-Anne, le passé venait de prendre un sens complètement nouveau.

Marguerite, sans un mot, a regardé Marie-Anne de la tête aux pieds, un petit sourire au coin des lèvres. Elle l'a accueillie, lui a donné des vêtements et une chambre, puis elle a commencé à l'éduquer. Louis, lui, est reparti, laissant Marie-Anne aux mains de la vieille femme.

Le temps a filé, et Marie-Anne s'est rendu compte que l'automne de 1758 était bien différent de celui de 2025. Dans ce passé qu'elle découvrait, l'air de novembre était déjà sec et frais, le soleil se faisait plus timide, mais le froid de l'hiver se faisait déjà très bien sentir. Les feuilles avaient fini leur spectacle et les arbres se dénudaient rapidement, pressés de s'endormir.

Elle se souvint alors de sa "vie d'avant". En 2025, l'automne s'étirait, devenant une saison indécise. Les feuilles s'accrochaient encore aux branches à la mi-novembre, comme si elles ne voulaient pas céder. Les changements climatiques avaient rendu la saison beaucoup moins rigoureuse. C'était un automne où l'on pouvait encore se promener en veste légère, un automne qui ressemblait plus à un été prolongé. On n'allumait pas encore les chaufferettes en 2025. Ici, en 1758, il fallait se préparer. Les préparatifs pour affronter l'hiver étaient une nécessité immédiate, une course contre la nature, pas une option.

Marie-Anne a fait le plus grand saut qu’elle n’avait jamais fait, de l’université à l’école de la vie. Elle qui pensait que d’être devenue orpheline de parents à 28 ans était ce qu’elle vivrait de plus gros dans sa vie, elle a souri en y pensant là. Avec la patience d'un ange, la vieille Marguerite a entrepris de lui apprendre à « tenir maison ». Les journées étaient longues. Elle apprenait à piler le grain pour la farine, à coudre les vêtements usés, à faire des chandelles et même à laver le linge dans un grand chaudron de fonte. Marie-Anne, les mains pleines de farine, a souri. Elle n'avait jamais fait de pain de sa vie.  D’ailleurs, en quoi apprendre à faire du pain puis à tenir une maison allait changer le cours de l’histoire de son Québec en 2025?  

–  Une femme, c'est comme le foyer, lui a dit Marguerite un jour en lui montrant comment rouler la pâte.  Si c'est pas allumé, y'a pas de vie dans la maison. 

La plus grande difficulté, pour Marie-Anne, était d'être une femme sans pantalon. Les robes épaisses et lourdes que Marguerite lui avait données la faisaient trébucher, la ralentissaient. Une nuit, en secret, elle a trouvé un vieux morceau de cuir de chevreuil et, avec une aiguille et du fil, elle a cousu une paire de pantalons. Sa seule ancre avec la vie qu'elle avait connue.

Le lendemain, elle est sortie fièrement, sa nouvelle tenue aux jambes. Louis, qui aiguisait un couteau, a levé la tête, un air perdu dans ses yeux. Il n'a rien dit. Il a juste regardé ses pantalons de cuir avec un mélange d'étonnement, d'amusement et de fascination. Marguerite, elle, a lâché la brassée de bois qu’elle tenait dans ses bras.

–  Mon Dieu !  a-t-elle murmuré, incrédule.  T'es-tu devenue un homme ? 

Marie-Anne a ri. 

–  Non, Marguerite. C'est juste plus pratique pour travailler. Et puis, je me sens beaucoup plus libre. 

Louis a souri. 

–  C'est pas ben ordinaire, c'est sûr. Mais ça a l'air ben pratique. 

Marie-Anne a regardé Louis, le cœur plein de bonheur. Il l'acceptait pour ce qu'elle était.

Presque tous les deux ou trois jours, Louis revenait voir Marie-Anne. Un homme qui avait toujours eu une raison d’être, une mission, se surprenait à faire des détours pour la voir. Il disait à Marguerite qu’il venait chercher du bois, ou qu’il avait des peaux à lui échanger, mais au fond, c’était pour l’entendre. L'entendre lui débiter des affaires ben étranges,comme la fois où elle lui avait dit que ses mésaventures étaient dignes des histoires de Netflix et d’Instagram, des concepts qui n’existaient pas dans son monde, mais qui la rendaient si fascinante. Il était un coureur des bois, un homme de la nature, mais elle était un mystère qu'il voulait percer.

Une après-midi, pendant que Marie-Anne s’affairait à coudre, Louis est revenu pour jaser un peu avec Marguerite.

–  Je te l'ai dit, elle est pas vite, a dit Louis en s’asseyant près du foyer.

Marguerite, qui était en train de tresser un panier, a levé les yeux, un sourire dans le regard. 

– Je sais bien. Mais elle n'a pas été élevée comme nous. Elle vient d'une famille de bourgeois, ça c'est sûr. Elle sait parler, elle a de l'éducation. Mais pour le reste... 

Louis a secoué la tête. 

–  Éduquée ? J’en sais rien. Elle dit des affaires… Ça a aucun sens. L’autre jour, elle me racontais que  j'avais pas de GPS pis de bornes de recharge pour mon cheval, j’pourrais améliorer mes revenus. Comme si c’était une affaire normale. Elle a même appelé la maison du marchand un Tigre Géant… comme un animal de la jungle. Je suis pas mal certain que c’est pas la plus brillante de sa portée. 

Marguerite, patiente, l'a écouté. 

–  Mais elle a un bon cœur, Louis. Et elle a l'air d'avoir un grand respect pour toi. 

Louis a souri. 

– C'est ben vrai. Mais... j'essaie de la comprendre. L'autre jour, elle me parlait d'une affaire… que les hommes de son coin de pays étaient beaucoup moins galants que nous autres.  Elle a dit en riant que c’est probablement parce qu’ici on ne captait pas le Wi-fi pour envoyer des dick pics. J'ai pas compris un mot. Ça a l'air d'être une maladie grave, non ? Elle a aussi dit que les hommes de son époque, comme si elle était une voyageuse dans le temps, étaient des lâches qui ne pensaient qu'à eux. Elle a même parlé de ghosting... j'ai pensé que c'était une nouvelle sorte de  fantôme. 

Marguerite, le visage sérieux, a secoué la tête. 

–  T'en fais pas. C'est le passé qui la hante. Ça passera avec le temps. 


Dans le silence de la petite maison, troublée seulement par le crépitement du feu, Marie-Anne était assise à la table de la cuisine, ses mains de nouveau pleines de farine. La vieille Marguerite la regardait, un sourire malicieux au coin des lèvres.

–  Je vois que tu as peur, ma petite, a dit Marguerite, ses yeux perçants fixés sur Marie-Anne.

Marie-Anne, qui pensait à la solitude de Louis et à sa promesse de rester veuf depuis que sa femme était morte en train d’accoucher, a levé la tête, confuse. 

– De quoi parlez-vous, Marguerite? 

–  Ben, de la vie d'une femme mariée. Si jamais mon gendre Louis te demandait ta main un jour, il faudrait que tu sois prête. 

Marie-Anne a senti ses joues rougir. Elle a pensé aux scènes de mariage dans les films qu'elle avait regardés, aux robes blanches et aux baisers passionnés.

Marguerite a continué, avec un ton très sérieux. 

–  Le soir des noces, ton mari viendra dans ta chambre, et… 

Marie-Anne a ouvert de grands yeux, les mots de la vieille femme la frappant de plein fouet.

–  … il te déshabillera, et il fera ce qu'il a à faire. C'est le contrat. C'est comme ça qu'on fait des enfants, tu sais. C'est comme ça qu'on fait de la famille. Y a pas de secret là-dedans, c'est juste un peu… 

Marguerite a cherché ses mots, puis elle a fait un geste de la main. 

– C'est un peu un travail de ferme, mais c'est comme ça. C'est le contrat. 

Marie-Anne, qui était habituée à des rendez-vous galants et à des textos, a failli s'évanouir. Elle a regardé Marguerite, qui avait l'air de dire la chose la plus normale du monde. C'était la chose la plus étrange et la plus embarrassante qu'elle ait jamais entendue. Elle a pensé aux scènes de sexe dans les films, aux bougies, aux draps de soie. Ici, c'était la réalité, dure et sans filtre.

Elle a failli éclater de rire. Dans sa tête, elle a eu une pensée pour les hommes qu'elle avait connus, pour les rendez-vous sur Tinder et les one-night stands. Des phallus, elle en avait vus, elle en avait touché. Elle en savait probablement plus sur le sujet que Marguerite elle-même. Mais elle a gardé son calme. Il n'y avait pas de place pour ses histoires ici.

Elle a réussi à bafouiller, la voix rauque : 

–  C'est… c'est noté. Merci, Marguerite. 

Marguerite a souri. En réalité, elle avait un léger gros doute que Marie-Anne en savait beaucoup sur la chose. Alors pourquoi lui en parler ? C’était davantage une mise en garde pour lui faire comprendre que la femme de 1758 n’était pas vraiment anticipée.

–  Je sais que c'est difficile à comprendre pour toi, ma petite. Mais une femme, elle a un rôle à jouer. Et c'est un rôle important. 

Marie-Anne a regardé ses mains, qui étaient encore pleines de farine. Elle avait appris à faire du pain. Elle avait appris à allumer un feu. Et maintenant, elle savait à quoi ressemblait la vie d'une femme mariée. Elle a compris que l'histoire, ce n'était pas juste dans les livres. C'était aussi dans la vie de tous les jours, dans les gestes, dans les traditions et dans les contrats.







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